Plagiat et inspiration
J’aime bien les histoires de plagiat. Je me délecte toujours quand je lis des histoires comme celles de Marc Maggiori, des « Simpalas », de Layervault contre Flat UI, les documents internes de Samsung expliquant tout ce qu’il faut recopier d’iOS, ou des développeurs de Candy Crush Saga. Récemment, deux histoires m’ont particulièrement intéressé.
Tout d’abord, il y a l’histoire de Casey Neistat, un vidéaste américain, qui fin 2012 a eu l’idée de rendre une visite surprise à sa copine à l’autre bout du monde, et de filmer tout son périple au passage. Ça donne une vidéo sympathique bien qu’un peu longuette de son aventure très personnelle. Fin 2013, un français (cocorico) du nom de Maxime Barbier décide de reprendre le même concept, d’en faire sa vidéo, et de la vendre au passage à Coca-Cola. Maxime ne s’est pas caché d’être un fan de Casey Neistat et de s’être « inspiré » de sa vidéo, mais l’inspiration allait ici jusqu’à reprendre mot pour mot certaines répliques de la vidéo originale. Casey Neistat a donc publié un article sur son blog pour dénoncer tout ça, et la vidéo copiée a rapidement été retirée. Il explique ce qui le dérange le plus dans toute cette histoire :
C’est difficile de pointer du doigt pourquoi ça m’énerve autant. Copier fait partie du jeu. Ce n’est pas la première, et certainement pas la dernière, fois que quelque chose comme ça se produit. Peut-être que c’est parce que mon film était fait entièrement d’amour et de bonheur. Je ne faisais pas expressément un film, ce n’était pas la motivation pour surprendre ma copine. Je me suis juste retrouvé coincé dans des avions pendant 27 heures et j’ai décidé de tout filmer. Ce n’était que quelques semaines après le voyage que mon ami Max Joseph m’a aidé à monter le tout en un film après lui avoir montré les scènes de ma copine en train de crier quand elle m’a vu à sa porte à 12 000 Km de chez moi. Ou peut-être que c’est parce que je n’ai jamais gagné le moindre centime avec ma vidéo, que je n’avais même pas monétisée sur Youtube. C’est une histoire qui m’a rendu tellement heureux de la revivre encore et encore en regardant mon film que de regarder la copie merdique pour Coca-Cola de cet intrus a tout gâché pour moi.
Comme si cette expérience qui était si intime et centrale dans ma vie pouvait être reproduite et vendue en canettes rouges de trente-trois centilitres.
Plus récemment, Dong Nguyen, un développeur vietnamien, a connu un succès foudroyant avec un jeu sur iOS et Android : Flappy Bird. Sorti en milieu d’année dernière, le jeu était passé inaperçu. Mais après un mystérieux effet boule de neige et la mention sur une chaîne Youtube aux vingt millions d’abonnés, les téléchargements du jeu ont explosé. Le jeu rapporterait alors 50 000 dollars par jour en publicités à son créateur. Et c’est alors qu’entre en scène Kek, un autre français (cocorico), auteur habituellement de sympathiques bande-dessinées. D’après lui, Flappy Bird serait une copie pure et simple d’un de ses jeux, Piou Piou contre les cactus. Il contacte Dong Nguyen, qui nie avoir déjà entendu parlé de son jeu. Kek tente alors de faire la démonstration du plagiat sur Twitter en publiant l’image suivante :
Et c’est là où ça commence à me déranger. Contrairement aux histoires de plagiat évidentes et avérées, ici Kek n’a aucun autre argument qu’une ressemblance entre les deux oiseaux. En réponse à certains détracteurs sur Twitter ou dans un article sur le Huffington Post, Kek estime être le créateur original du « petit oiseau jaune aux grosses lèvres ». Permettez-moi d’en douter. Au niveau du gameplay et de la réalisation, les deux jeux n’ont strictement rien à voir. Mais les deux jeux sont très inspirés de l’univers de Nintendo (les tuyaux pour Flappy Bird, les cactus et le désert pour Piou Piou). Mais ça suffit pour que le 8 février dernier, Dong Nguyen retire Flappy Bird de l’App Store et de Google Play, avec pour seul motif qu’il ne supporte plus le succès de son jeu. Et du coup, je ne peux pas m’empêcher de me poser la question : qu’attendait Kek en publiant cette image ? Est-ce que secrètement il espérait que l’auteur reconnaisse un plagiat, et lui verse un chèque ? Ou alors que l’auteur retire Flappy Bird pour que tout le monde se mette à jouer à Piou Piou (et tant pis si les deux jeux n’ont rien à voir, ludiquement parlant) ? Contrairement à la copie avérée de la vidéo de Casey Neistat, j’ai l’impression que la seule motivation du hurlement au plagiat ici est l’argent (ce qui ressent tout au long de la lecture de l’article de Kek, sobrement intitulé « Comment j’ai failli être millionnaire »).
Ça m’arrive aussi d’être copié. Parfois ce sont de simples tweets que je retrouve mots pour mots. Il y a quelques années, j’étais tombé sur un article ressemblant très fortement au mien sur l’e-mail le plus réussi au monde. Même sujet (pourtant assez spécifique et dont j’avais parlé pour des raisons personnelles évoquées en tout début d’article), et surtout, le « copieur » avait repris mot pour mot ma traduction de l’e-mail en question. Surpris mais amusé, j’avais posté les deux liens sur Twitter avec un message du genre « Copié / collé ». Ce que je n’avais pas prévu, c’est qu’en quelques minutes, le blog du copieur a été inondé de commentaires d’insultes, probablement de la part de certains de mes followers pas très malins. En voyant ça j’ai aussitôt supprimé mon tweet pour éviter d’autres commentaires nauséabonds. Mais le mal était fait. Plus tard, le copieur supprima son article. Je n’attendais rien de particulier en pointant du doigt cette copie. Mais au final, tout le monde a perdu : les lecteurs du blog copieur perdent un article intéressant, l’auteur du blog s’est fait insulté sans raison valable, et moi je me suis senti mal que tout ça arrive alors que je n’avais aucune attente particulière.
Et je crois que c’est ce qui me dérange dans l’histoire de Flappy Bird. Au final, tout le monde a perdu : les joueurs sont privés d’un jeu original, l’auteur a du retirer sa création personnelle, et Kek passe pour le méchant français avare de service.
La meilleure solution reste de prendre les plagiats comme des flatteries. Ou sinon, de ne plus rien créer du tout.