Le marché des navigateurs
Pour bien comprendre le monde du web, je pense qu’il est important de bien comprendre le marché des navigateurs. C’est un marché de plusieurs milliards de dollars. Pourtant, il y a de fortes chances pour que vous n’ayez jamais déboursé le moindre centime pour utiliser votre navigateur.
Ça n’a pas toujours été le cas. En 1994, la toute première version d’Internet Explorer était disponible uniquement au sein du pack Microsoft Plus! pour Windows 95, vendu 55$. Deux mois après, IE2 était inclus officiellement par défaut dans Windows 95. Jusqu’en 1998, Netscape était vendu 49$. Jusqu’en 2000, Opera était disponible pour 39$. Alors comment font les grosses sociétés comme Apple, Microsoft, Mozilla ou Google pour gagner de l’argent ? Voici quelques explications détaillées pour chaque cas.
Apple et Safari
Apple est un fabricant de matériel. En 2011, Apple a généré un chiffre d’affaires de 108 milliards de dollars, avec 60 400 employés. L’année d’avant, la majorité des revenus d’Apple provenaient de la vente de matériel (iPhone, iPod, Mac). Bien sûr, Apple conçoit et vend des logiciels (OS X, iWork, iLife), et distribue également de la musique, des films et des applications via iTunes et l’App Store. Mais en comparaison de ce que leur rapporte la vente de matériel, ça ne leur rapporte « quasiment rien » (on sera quand même dans l’ordre de milliards de dollars, mais hey, c’est Apple). Toutes ces applications et services ne sont que des moyens pour arriver à une fin : vendre du matériel. En proposant des logiciels exclusifs à leur plate-forme, Apple vend plus de matériel.
Et c’est donc dans la même idée qu’Apple développe WebKit et Safari gratuitement, pour proposer par défaut un service complet sur ses machines. Et il se trouve qu’au passage, ça leur rapporte un peu d’argent de poche. L’année dernière, Google a payé Apple 1 milliard de dollars pour être le moteur de recherche par défaut dans Safari.
Microsoft et Internet Explorer
Microsoft est un éditeur de logiciels. En 2012 (année fiscale), Microsoft a généré un chiffre d’affaires de 73 milliards de dollars, avec 94 000 employés. La majorité des revenus de Microsoft provient de la vente de logiciels (Windows et Office en tête). Pour vendre ses logiciels, Microsoft s’adresse soit directement, soit à des fabricants d’ordinateurs pour leur vendre des licenses et installer par défaut leurs logiciels et OS.
Pour Microsoft, un peu comme pour Apple, Internet Explorer est donc un moyen de proposer un système d’exploitation complet et attrayant, et ainsi de vendre plus de Windows. Au passage, Internet Explorer leur permet aujourd’hui de faire la promotion de Bing à faible coût.
Mozilla et Firefox
Mozilla est un éditeur de logiciels à but non lucratif. En 2011, la fondation Mozilla a généré un chiffre d’affaires de 123 millions de dollars, avec 600 employés pour la Mozilla Corporation. La majorité des revenus de Mozilla provient de Firefox, et indirectement de… Google. Google paye 300 millions de dollars par an à Mozilla pour être le moteur de recherche par défaut du navigateur.
La principale motivation de Mozilla est donc d’avoir suffisamment de parts de marchés pour imposer un tarif élevé à Google et Microsoft pour la place hautement convoitée de moteur de recherche par défaut.
Google et Chrome
Google est un moteur de recherche. En 2011, Google a généré un chiffre d’affaires de 37 milliards de dollars, avec 54 604 employés. La majorité des revenus de Google provient de la vente d’espace publicitaires sur son moteur de recherche et sur son réseau publicitaire. En 2011, 96% des revenus de Google provenaient de la vente d’espace publicitaire. Google conçoit également pleins d’autres services que son moteur de recherche, comme Youtube, Android, Google Maps ou Google Docs. Mais tous ces services ne sont que des moyens pour Google d’arriver à leur fin : vendre et diffuser encore plus de publicités. En utilisant plus de services de Google, vous permettez à Google de mieux vous cibler et ainsi de mieux vous revendre à leurs annonceurs.
Chrome est développé en partie dans cette logique. Avec Chrome, Google s’autorise à utiliser vos données de navigation à « des fins d’amélioration de leurs services ». C’est à dire, vous suivre et étudier ce que vous faites, même en dehors de leurs réseaux de sites (par exemple sur des intranets habituellement non accessibles pour Google). Mais aussi, comme vous l’avez vu jusque là, Google dépense des milliards afin de conserver la place de moteur de recherche par défaut sur les autres navigateurs. Avec Chrome, et avec une part de marché désormais non négligeable, Google peut négocier les tarifs à son avantage.
C’est important d’avoir une idée des liens entre chacun des acteurs majeurs, car ça permet de mieux comprendre certaines décisions. Par exemple, quand Apple abandonne en silence Safari sous Windows, c’est parce que ça ne leur rapporte rien du tout. Quand Google décide de lancer sérieusement Chrome comme navigateur par défaut sur Android, c’est pour mieux s’imposer et éviter de payer des fortunes à Apple et Mozilla.