Le troisième âge du web

Cette semaine, j’ai lu avec attention la longue tirade de Gaétan Weltzer intitulée « Qu’est-il arrivé au webdesign ? »

Il y a quelques années, [le webdesign] et moi étions jeunes et fous, nous courions ensemble nus dans un pré rempli de coquelicots et de tiques. Déjà intégrateur accompli et avec des notions d’ergonomie basiques, je comprenais suffisamment comment il fonctionnait pour que lui et moi laissions libre court à notre créativité. C’était des fois moche, des fois pas super lisible ou au contraire agressif, mais c’était du design ! Du design original et unique.

La communauté du webdesign était dans une lancée splendide où ce métier était en essor fulgurant et a vu naître de nombreux talents. Les blogs de designs se multipliaient (c’était à l’époque l’apparition du phénomène des blogs, ils allaient modifier toute l’économie de la planète et ériger un nouvel ordre) et chacun partageait ses coups de cœurs, ses ressources, des tutoriels, ses brushs Photoshop… et je ne me lassais pas de contempler les sélections de webdesign ou de portfolios, tous plus créatifs les uns que les autres.

A cette époque lointaine, le poids des images était une contrainte encore plus forte qu’aujourd’hui. Mais malgré ça, on s’en foutait ! La passion qui nous animait nous poussait à créer des webdesigns avec toujours plus d’images, d’animations Flash, de petite textures sur une barre de titre, de splendides illustrations. Au diable le poids ! On repoussait notre imagination, on créait les nouvelles tendances. Webdesigns texturés de partout, d’autres imitant des scènes de la vie courante (comme un bureau vu du dessus, oui, c’était il n’y a pas si longtemps !). Et cette mode des designs 2.0 qui avait tant marqué les tendances ! en bien comme en mal…

Ce n’est pas la première fois que je lis ce genre d’article de graphiste déplorant le manque d’originalité des refontes de sites actuels. Mais je pense que ça tient en une phrase simple (excusez mon langage) : sur le web, c’est fini les conneries.

Il y a quelques semaines, j’avais lu un tweet de Francisco Inchauste concernant le design d’applications mobiles qui est resté profondément ancré dans mon esprit :

On est encore à un stade similaire à lorsqu’on a inventé la télévision et qu’on s’asseyait devant une caméra pour lire le scénario d’une émission parce que les gens étaient encore habitués à la radio.

Je pense que cette métaphore est particulièrement valable pour le web. On a passé les 20 dernières années à essayer de reproduire sur le web ce qu’on faisait dans la presse papier, puis ce qu’on faisait dans des CD-Roms interactifs, puis ce qu’on faisait à la télévision, parce qu’on voulait se rapprocher de ce que les gens connaissaient. Je me souviens encore de jeuxvideo.com qui ne publiait des actualités qu’une fois par jour, à 19 heures. Ce n’est pas ça le web. Et le résultat n’était qu’une médiocre imitation d’autres supports de communication.

Je pense que nous arrivons dans le troisième âge du web, que je décrirais comme suit :

  1. On est sur le web.
  2. On fait du business sur le web.
  3. On fait notre business sur le web.

Le premier âge, caricaturalement dans les années 1990, consistait à être sur le web. « Youpi, on a un site Internet ! Alors l’adresse c’est h t t p deux points slash slash trois double v… point com. On n’a pas encore de site marchand, mais vous pouvez télécharger notre catalogue en BMP. »

Le deuxième âge, dans les années 2000, consistait à faire du business sur le web. « Nouveau ! Passez votre commande dans notre catalogue ou sur notre site Internet ! »

Le troisième âge, dans lequel on entre tout doucement, consiste à faire la majorité de son business sur le web. Fini la presse papier. Fini les magasins (ou presque). Dans un contexte où le web représente alors une majorité de votre activité, un site internet n’est plus un support de communication pour votre activité. C’est votre activité.

Il y a quelques mois, je discutais avec un responsable technique d’un grand site de vente à distance français. Il m’expliquait que la moindre modification sur une fiche produit pouvait entraîner des centaines de milliers d’euros de perte de chiffre d’affaires par jour. Un simple changement de couleur de bouton, un simple changement d’icône, le moindre texte, le moindre kilo-octet en plus. La moindre modification passe alors par des mois d’A/B Testing, d’étude analytiques des statistiques du site, pour ensuite adapter, retester, et peut-être en fin de compte adopter une modification.

Dans un tel contexte, il est évident qu’il est hors de question de dire « qu’on s’en fout des contraintes » ou « au diable le poids de la page ». Il en va de la vie de l’entreprise. Le métier de webdesigner est donc en train de se professionnaliser. Le métier de webdesigner n’est pas de faire de l’art. Dans certains cas, il ne s’agit même pas d’être créatif. Si ça ne vous plaît pas, alors changez de métier.