En février dernier, les différents fabricants de navigateurs (Mozilla, Opera et Microsoft) ont exprimé leur souhait d’interpréter certaines propriétés CSS3 avec le préfixe -webkit-. Le lendemain, Daniel Glazman (co-président du groupe de travail CSS du W3C) lançait un appel à tous les développeurs web pour éviter que cette situation ne se produise. Le message a été plutôt bien relayé par la communauté du développement web et du design web. Malheureusement hier, le magazine .NET rapportait qu’Opera s’apprêtait de manière imminente à implémenter et interpréter certaines propriétés avec le préfixe -webkit- :
Opera, aux côtés de Microsoft et Mozilla, ont annoncé lors d’une réunion du CSS Working Group qu’ils supporteraient certaines propriétés avec le préfixe WebKit. C’est parce que trop d’auteurs de sites mobile utilisent uniquement les propriétés avec un préfixe -webkit-, et même pas la version standard, sans préfixe, lorsqu’elle est disponible. Cela mène à une expérience utilisateur réduite sur Opera, Firefox Mobile et IE Mobile, qui n’affichent pas les mêmes effets à la mode, comme des transitions, des dégradés, même s’ils supportent ces effets.
Il y a trois mois, je résumais le ridicule de la situation, auquel j’ajoute aujourd’hui cette représentation Tarantino-esque de l’état du web.
Les acteurs du web ont fait quelque chose de stupide en utilisant uniquement des préfixes -webkit-. Les fabricants de navigateurs vont faire quelque chose de stupide en implémentant les propriétés avec le préfixe -webkit-. Le W3C propose une réponse stupide visant à pénaliser les auteurs du web ignorants ou peu consciencieux.
Je l’ai dit hier et je le redis aujourd’hui : c’est une honte. En choisissant d’interpréter les propriétés avec le préfixe -webkit-, les navigateurs favorisent leurs propres intérêts personnels au détriment du Web Ouvert. C’est particulièrement honteux de la part d’Opera et surtout Mozilla qui se vantent sans cesse de défendre le Web Ouvert.
Qu’on soit bien clair : l’origine de tout ce débat, l’origine du problème, ce n’est pas le W3C, ce ne sont pas les navigateurs. Ce sont nous, petits intégrateurs, qui sommes la cause de ce problème. Ou plutôt, les intégrateurs peu consciencieux ou peu avertis, qui utilisent uniquement des préfixes -webkit- sans se préoccuper des autres navigateurs.
Je me considère comme un intégrateur un minimum averti. Je travaille en agence depuis 6 ans, et je fait de la veille que je partage quotidiennement sur Twitter ou sur ce blog. J’estime être relativement au courant des nouveautés du web et en particulier en intégration. Au fil des années, de ma part mon travail et également via Twitter, j’ai rencontré et discuté avec des dizaines voire une centaine d’intégrateurs. Des intégrateurs freelance, des intégrateurs en agence, des intégrateurs chez l’annonceur pour de plus ou moins grands comptes. En dehors de la sphère Twitter et de la petite famille francophone de développeurs web, j’ai très souvent constaté qu’une bonne partie d’intégrateurs sont souvent mal renseignés sur leur métier. Dans certains cas, c’est parce qu’ils considèrent l’intégration comme un simple métier, et qu’ils n’éprouvent pas l’intérêt de faire une veille quotidienne. Dans d’autres cas, c’est par manque de temps et par épuisement. Par exemple, j’ai rencontré un jour une intégratrice qui travaillait dans une agence où elle devait intégrer chaque jour un site complet (de 10 à 20 pages). Difficile de trouver le temps de faire de la veille dans de telles agences.
L’origine du problème, c’est donc le manque de formation et de connaissances détaillées dans le web pour une grosse partie des intégrateurs, développeurs web ou webdesigners. En choisissant d’interpréter les propriétés avec le préfixe -webkit-, les navigateurs ne vont pas résoudre l’origine du problème. Ils vont l’aggraver. Ces intégrateurs vont continuer à utiliser des propriétés avec le préfixe -webkit- uniquement, en se satisfaisant que ça fonctionne désormais partout. Mais ils ne se remettront pas en question, et ils n’aideront pas à rendre le web meilleur.
Alors quelle est la solution ?
Beaucoup d’intégrateurs souhaiteraient tout simplement l’abandon des préfixes navigateurs. Mais ces préfixes sont utiles et nécessaires. Ils permettent aux navigateurs d’implémenter des fonctionnalités en cours de définition par le W3C, et aux développeurs de les tester. Mais à tout moment, ces propriétés sont susceptibles de changer, pour être améliorées voire supprimer. C’est ce qui est arrivé avec les définitions des dégradés en background. La première syntaxe proposée par le W3C a été revue et adoptée par les autres navigateurs suite à la proposition d’une meilleure syntaxe par Mozilla.
Alors quelle est la solution ?
Je n’ai pas la prétention d’avoir une solution miracle. Mais par expérience, je sais une chose : si à un moment donné, un navigateur affiche un message alarmant à l’internaute sur un site donné, alors toute la hiérarchie d’une boîte va se réveiller pour que ce soit corrigé au plus vite. J’ai souvent rencontré le cas sur IE6. Sur IE6, quand vous êtes sur une page en HTTPS et que vous appelez une ressource en HTTP, le navigateur affichera une alerte à l’internaute lui demandant s’il souhaite afficher ou pas les contenus non sécurisés. A chaque fois que j’ai aidé des clients à résoudre ce problème sur leurs sites, croyez moi, toute la hiérarchie était sur le coup : des remontées du service téléphonique client au département marketing jusqu’à la direction générale. L’origine du problème vient également d’une mauvaise pratique de la part du développeur web, qui n’a pas pris le soin d’appeler des contenus sécurisés partout. Mais en corrigeant ce problème, le développeur web apprends quelque chose. Et s’il tient à sa survie, il y a de grandes chances qu’il retienne la leçon.
On pourrait alors imaginer un message d’alerte similaire, laissant entendre que le site a été mal conçu, et lui proposant d’améliorer le rendu du site. Si l’internaute accepte, le navigateur pourra interpréter les préfixes -webkit-. Sinon, la page s’affichera normalement.
Avec une telle solution, tout le monde est gagnant. L’internaute peut afficher une version optimale du site. Le navigateur peut démontrer ses capacités. Et le développeur web et les concepteurs du sites seront invités à revoir leurs pratiques.
J’espère vraiment que la décision d’Opera et de Mozilla n’est pas figée, et qu’ils essaieront de travailler avec des développeurs web pour trouver la meilleure solution, plutôt que d’imposer au monde entier leurs mauvaises décisions.