Citation, auto-promo et sensibilisation
Récemment j’ai enfin mis le doigt sur quelque chose qui me dérangeait depuis pas mal de temps, mais sans trop savoir pourquoi.
Il y a d’abord eu ce tweet de Charles de UXUI, dénonçant le site d’une agence qui publie sur son blog des traductions d’articles anglophones, mais sans jamais mentionner qu’il s’agit de traduction, en cachant discrètement l’article original sous un vulgaire lien « source », et en indiquant à la fin « article rédigé par [membre de leur équipe] ». Je trouve ça particulièrement malhonnête. C’est essayer de s’attribuer les mérites du travail d’un autre. Quelques échanges plus tard, la mention « article rédigé par » a été changée par « article mis en ligne par », ce qui est déjà un peu mieux. Mais il reste toujours ce vilain lien source.
Quand vous mettez un lien derrière un simple « via » ou « source », vous vous assurez que ce lien n’aura quasiment aucune valeur pour l’auteur, alors que ça aurait été l’occasion d’offrir à l’auteur à l’origine de votre propre publication un joli backlink.
Il n’y a rien de dévalorisant à citer quelqu’un. Si je lis quelqu’un que j’apprécie, et qu’en plus cette personne me fait découvrir de nouveaux auteurs à suivre, je n’en serais que plus reconnaissant. J’ai l’impression que les gens qui ne citent pas ou cachent leurs sources ont peur de perdre une partie de leur lectorat. Mais si c’est vraiment le cas, ça veut alors dire que votre article n’apporte strictement rien par rapport à l’article d’origine, et qu’il faut donc peut-être se remettre en question…
Et puis cette semaine, il y a eu ce classement des « développeurs francophones les plus suivis sur Twitter ». Je passe sur la pertinence de ce « concours de celui qui a la plus grosse », sur le fait que sur 50 développeurs, 36 ont des bios en anglais, ou sur la promotion spamesque faite pour cette page sur Twitter. Par contre, je suis plus dérangé par le fait que la raison principale de l’existence de cette page, c’est de faire la publicité des formations organisées par la société qui l’a créé. C’est certes discret, tout en bas de page, mais c’est bien là.
C’est en me tournant vers mon astrophysicien préféré que j’ai réussi à éclairer ce qui me dérangeait dans tout ça. Lors d’une rencontre avec Neil deGrasse Tyson dans son université, Anna H. a eu la chance de lui poser une question sur l’importance de la sensibilisation du grand public sur son métier.
Anna H : Vous parlez beaucoup du changement de la perception publique de la science. Je me demandais si vous pouviez nous parler des changements de la perception des scientifiques de la sensibilisation de leur métier — dans quelle mesure la sensibilisation est valorisée dans la communauté scientifique.
Neil deGrasse Tyson : Ah, excellente question, et une qui me tient particulièrement à coeur.
Carl Sagan a fait des erreurs, mais il était le premier a faire de la sensibilisation publique très visible, à grande échelle, donc il avait le droit de faire des erreurs. Mais je ne suis pas le premier, donc j’ai pu apprendre de ses erreurs. Carl ne donnait souvent pas crédit quand il décrivait des résultats de recherche astronomique. Beaucoup de gens regardant son programme ont pensé que c’était lui qui faisait toutes ces découvertes. Après son décès, des journaux ont écrit des choses comme « la seule récompense à lui avoir échappé était le prix Nobel ! », ce qu’ils n’auraient pu écrire que s’ils avaient pensé que toutes ces découvertes dont il parlait étaient ses découvertes. C’étaient des travaux sur lesquels d’autres scientifiques avaient peut-être passé des décennies, et Carl recevait toute la reconnaissance. Ça a rendu plein de gens amers.
Quand je décrit des recherches scientifiques, je fais toujours attention à les attribuer au groupe qui a travaillé sur le projet. Quand un journal m’appelle et me demande des commentaires, je les redirige toujours vers le groupe qui a fait le travail.
Aussi, je ne parle jamais de mes propres recherches. Je n’utilise pas ma plate-forme comme une opportunité pour faire la publicité de mes résultats personnels. Ma spécialité ce sont les galaxies, mais presque personne ne le sait. Je parle de ce qui selon moi va captiver le plus le public, et j’appelle des collègues si je n’y connais pas grand chose.
Je n’ai jamais ressenti d’antagonisme de la communauté professionnelle d’astronomie, et je pense que c’est parce que je leur donne toujours crédit pour leur travail.
Toujours donner crédit à ses sources, et ne jamais faire son auto-promo. Ce sont deux règles que j’essaye de suivre sans m’en rendre compte depuis des années.